Laboratoire d'innovation Technologies de l'information La startup montréalaise Funartech convainc l’équipementier automobile japonais Aisin avec son approche d’IA hybride
INYULFACE Funartech fondateurs Intelligence Artificielle

La startup montréalaise Funartech convainc l’équipementier automobile japonais Aisin avec son approche d’IA hybride

par Inyulface Lab

Funartech est une startup montréalaise qui travaille sur « l’Intelligence Artificielle de demain », fondée fin 2017 par le Dr Nikolaj Van Omme et Dr Dania El-Khechen. Pour résoudre les problèmes industriels, Funartech préconise une approche d’IA hybride alliant le ML (Machine Learning) et l’OR (Operations Research ou recherche opérationnelle) ainsi que d’autres domaines mathématiques. Pour comprendre comment cette hybridation de l’IA fonctionne, voici un cas concret réalisé par Funartech avec le groupe japonais Aisin, 6ème équipementier automobile mondial. Funartech a mené cette démarche dans le cadre d’un défi d’innovation lancé en février 2021 par Bonjour Startup Montréal (devenu Inno Startup), pour l’optimisation d’une chaîne logistique grâce à l’intelligence artificielle.

Et retrouvez en fin d’article un éclairage technologique avec Nikolaj Van Omme, cofondateur de Funartech.

Funartech

Qu’est-ce que l’OR ou Recherche Opérationnelle ?

Avant de plonger dans le cas Aisin, prenons le temps d’expliquer ce qu’est la recherche opérationnelle, une approche finalement ancienne, aussi appelée « aide à la décision » et destinée à l’analyse et l’optimisation de situations complexes.

Voici la définition de la Société canadienne de recherche opérationnelle : « La recherche opérationnelle (RO) applique des techniques d’analyse systématiques pour améliorer la prise de décision. Les termes analytique, sciences de la gestion et gestion des opérations sont souvent utilisés de manière interchangeable avec l’expression recherche opérationnelle. On trouve la RO dans tous les domaines où il faut prendre des décisions : transport, logistique, télécommunications, soins de santé, environnement, finances, énergie, etc.  La RO s’appuie sur les mathématiques, l’informatique, le génie et la gestion pour mettre au point des solutions efficientes et efficaces afin de résoudre des problèmes de petite et de grande taille.»

Le cas Aisin : optimiser la logistique grâce à l’intelligence artificielle

Le groupe Aisin est un important fournisseur japonais de pièces et de systèmes automobiles, présent au classement Fortune Global 500, et qui fait partie du groupe Toyota. Société de 35 milliards de dollars, Aisin compte plus de 200 sociétés consolidées et emploie environ 120 000 personnes. En Amérique, le groupe emploie 14 000 employés et représente 36 centres de fabrication, de vente et de R&D. Pour optimiser sa logistique, Aisin n’hésite pas à collaborer avec des startups innovantes, comme en février 2021 dans le cadre d’un défi d’innovation relayé par Bonjour Startup Montréal.

Résumé du défi logistique d’Aisin:  « Chaque jour, des dizaines de milliers de pièces de véhicules sont livrées de nos fournisseurs à notre entrepôt, puis transférées vers nos diverses usines à travers le Japon en utilisant le cross-docking (ndlr : logistique en flux tendus qui minimise le stockage). Les itinéraires sont actuellement réalisés manuellement par des spécialistes qui s’assurent que chaque pièce soit transférée en utilisant la route optimale. Cependant, la planification manuelle des itinéraires pose plusieurs défis sur la vitesse, la précision et la prévisibilité de notre logistique — créant des inefficacités dans des domaines d’activité clés. Le volume de livraison des pièces change régulièrement tous les jours et nécessite donc une optimisation fréquente de la planification des itinéraires, ce qui est actuellement difficile compte tenu de l’effort manuel requis. De plus, la planification manuelle des itinéraires prend beaucoup de temps et ne garantit pas l’itinéraire le plus optimal.

Grâce à des solutions basées sur l’intelligence artificielle, nous souhaitons résoudre les problèmes de tournées des véhicules (Vehicle Routing Problems) et ainsi optimiser nos itinéraires de livraison de l’entrepôt aux usines. Notre chaîne d’approvisionnement est vaste et complexe; nous cherchons à exploiter la puissance de l’intelligence artificielle pour minimiser les risques et améliorer l’efficacité globale de notre logistique. »

La collaboration entre Aisin et Funartech

Dans le cadre du défi, Bonjour Startup Montréal a pu repérer plus de 800 startups canadiennes et valider la faisabilité et la viabilité d’une preuve de concept. Plus de 50 de ces startups ont ensuite été interviewées et invitées à soumettre des propositions commerciales. Après un examen approfondi, une hiérarchisation des priorités et plusieurs réunions, la startup montréalaise Funartech a été sélectionnée pour implémenter une preuve de concept avec Aisin.

Pour résoudre un défi complexe impliquant un grand nombre de facteurs, le groupe Aisin a fait confiance à la vision de Funartech et à sa nouvelle façon de faire de l’IA : l’hybridation de l’apprentissage automatique et de la recherche opérationnelle.

Après six mois de collaboration, un premier prototype a été capable de réduire de 30 % le nombre de camions nécessaires à la livraison de pièces entre les entrepôts d’Aisin. L’optimisation de ce premier prototype, sur une énorme instance de données réelles, repose en particulier sur la Recherche Opérationnelle. Pour y parvenir, Funartech a collaboré avec le Pr Michel Gendreau de l’Ecole Polytechnique de Montréal, expert mondialement connu dans ce domaine qui a été un acteur clé dans le développement de la solution.

Questions à Nikolaj Van Omme, cofondateur de Funartech

Dr Nikolaj Van Omme, Funartech

Q. Dans le cas Aisin, vous avez obtenu un résultat applicable à l’échelle de toute l’entreprise. Plus largement, comment passez-vous de l’approche théorique à l’approche pratique ?

Certains projets peuvent très bien se résoudre de manière théorique mais dans la pratique échouer. Or notre façon de combiner le ML et le OR nous permet d’adapter sur le terrain ce qui se fait en théorie. Car nous développons des systèmes autoapprenants qui s’améliorent au fur et à mesure de leur utilisation.

Notre savoir-faire de recherche est développé au cas par cas. Tous nos projets sont des projets de recherche avec des solutions relativement uniques, mais aussi avec un retour sur investissement réel à court terme. Aisin est notre 8ème projet et notre 8ème succès, dans un domaine où il y a 80% d’échec. Nos premiers clients avaient essayé des approches d’IA avec de gros acteurs du marché, autant des éditeurs que le milieu universitaire. Mais ils n’ont pas réussi, alors ces entreprises nous ont mis au défi d’essayer à notre tour.

Q. En quoi vous différenciez-vous d’autres entreprises avec votre approche d’IA hybride ?

Ce n’est pas qu’une question de méthodologie, mais aussi une démarche de  co-construction avec nos clients. Nous faisons des solutions adaptées spécifiquement aux clients, à leur façon de fonctionner et aux gens qui utilisent les solutions. Or ce n’est possible qu’avec une approche hybride. Car si on n’utilise que le ML on ne fait que reproduire le passé, mais si une entreprise veut innover elle ne peut pas se contenter de refaire ce qu’elle faisait avant. Ce qui est intéressant pour aller plus loin c’est de combiner le ML (le savoir du passé) avec l’OR (le savoir actuel basé sur l’expertise des ingénieurs de la compagnie).

Nous faisons appel à la combinaison du ML, du OR mais aussi d’autres domaines, pour utiliser plusieurs boîtes à outil en connaissant leurs avantages et inconvénients. Notre approche est aussi auto-apprenante. C’est à dire qu’avec le ML nous sommes constamment à l’affût d’informations pour adapter le modèle par rapport à ce qui se passe sur le terrain.

Nous avons en fait une approche prescriptive, pas prédictive. Le modèle prédictif peut par exemple reconnaître un chien dans un ensemble de photos. On lui fournit un input avec des photos de chiens et on obtient un output qui va prédire si la photo est celle d’un chien. Le modèle prescriptif fonctionne en sens inverse, à partir d’un output il va générer l’input (les actions à poser). Par exemple avec l’approche prédictive, une entreprise qui aimerait augmenter ses ventes de 20% va regarder ses meilleurs vendeurs et voir ce qu’il font de mieux. Mais cette approche est limitée car elle n’utilise que ce qui existe déjà sans prendre en compte de meilleures façons de vendre. Cette approche pourrait aussi pousser l’entreprise à exiger que des vendeurs adoptent une façon de faire qui fonctionne pour un collègue mais qui ne leur convient pas. De plus, on peut démontrer que les actions individuelles des meilleurs vendeurs sont collectivement sous-optimales pour la compagnie.

Q. Pouvez-vous nous aider à comprendre les étapes de réflexion entre le besoin exprimé par Aisin (optimiser nos itinéraires de livraison de l’entrepôt aux usines) et la réponse obtenue (réduction de 30% des camions nécessaires) ?

Le véritable enjeu est en fait la réduction des coûts. Une approche possible est donc d’optimiser les itinéraires et le remplissage des camions. Mais cette optimisation n’est pas si simple car théorie et pratique sont différentes.

En effet, dans la pratique des camions peuvent tombent en panne, des chauffeurs se trompent, des pièces ne sont pas disponibles. Cela demande un certain type d’optimisation qui n’est pas la modélisation classique du problème. Mais dans la réalité tous ces imprévus rendent les modèles classiques obsolètes. C’est la grande question qui se pose actuellement dans la logistique : comment réussir l’optimisation à tous les niveaux, avec les meilleurs coûts mais aussi des solutions robustes, applicables dans la réalité et utilisable par les gens sur le terrain. Par exemple certains chauffeurs peuvent être réticents à suivre des itinéraires imposés.

Nous essayons aussi de sensibiliser nos clients à l’impact environnemental. Or la réduction des coûts peut rimer avec la réduction de la pollution mais ce n’est pas automatique. Certaines préconisations menant à des réductions de coûts pourraient en fait polluer plus. Nous prenons donc ces éléments en compte dans nos modèles pour avoir un impact positif sur la planète.

Q. Dans quels cas d’usage une approche en ML ou en OR est-elle plus adaptée ?

La réponse est simple: 100% des projets doivent combiner les deux, OR et ML… 😉 Il n’y a plus aucun problème qu’on ne peut pas résoudre par une combinaison hybride, il est impossible de faire mieux. Ainsi le ML est fortement connu pour son efficacité dans le computer vision (vision par ordinateur) et le NLP/NLU (la compréhension du langage). Mais même dans ces cas-là il faut utiliser des approches hybrides, notamment avec du OR qui sera plus performant. Nous menons des recherches en NLP/NLU à Polytechnique Montréal sur ce sujet.

Q. Pouvez-vous nous donner un exemple de modèle mathématique que vous employez ?

Les meilleurs algorithmes sont des algorithmes d’un certain type, destinés à résoudre un problème particulier. Il est donc intéressant de combiner plusieurs algorithmes pour voir un problème sous différents angles. Et plus on va optimiser l’efficacité de ce modèle, plus la complexité des algorithmes va augmenter. Il faut donc constamment faire un exercice d’équilibre. Les mathématiciens parlent du « No Free Lunch Theorem for Optimization » (pas de déjeuner gratuit pour l’optimisation). C’est-à-dire qu’aucun algorithme d’optimisation n’est universellement l’algorithme le plus performant pour tous les problèmes.

Prenons l’exemple de l’algorithme de Dijkstra utilisé pour résoudre le problème du plus court chemin. C’est en fait une approche dépassée mais encore employée par de nombreuses entreprises.

Graphe CH contraction hierarchies – les contractions hiérarchiques
Source : Wikipedia - Graphe CH

D’autres approches de mathématiques appliquées sont plus performantes pour ce problème du plus court chemin pour des instances précises (un réseau routier par exemple), comme CH (contraction hierarchies – les contractions hiérarchiques). Mais cette approche amène aussi plus de complexité, car cet algorithme utilise différents modèles. Il ne va pas juste rechercher les plus courts chemins dans des graphes (des modèles abstraits de dessins de réseaux reliant des objets). Dans le cas de réseaux routiers, les plus courts chemins passent par les autoroutes or on peut considérer qu’il n’y a pas beaucoup d’autoroutes. On peut donc faire abstraction des autres trajets pour passer par les autoroutes et avoir un 2ème modèle qui lui regarde les sorties/entrées d’autoroutes. Nous aurons donc deux modèles qui regardent le problème sous deux angles différents.

Si on applique l’algorithme de Dijkstra sur le réseau routier européen, il lui faudra quelques minutes ou heures à quelques jours pour trouver une solution, dépendamment de l’implémentation utilisée. (Il existe des implémentations de l’algorithme de Dijkstra qui sont relativement plus rapides que la version originale mais aucune n’est aussi rapide que l’algorithme CH). Avec une bonne implémentation de l’algorithme CH cela ne prend que quelques millisecondes. Mais l’implémentation est difficile car il faut utiliser une famille de modèles complémentaires qui se parlent entre eux et une partie du calcul est précalculée une fois pour toute.

Q. Concrètement, si une entreprise veut tester une approche hybride ML – OR quelles sont les prérequis pour se lancer dans un POC ?

Il faut prévoir un minimum de 6 mois pour un POC, mais l’expérimentation peut se prolonger sur plusieurs années, avec un ROI cependant rapide après quelques mois. Nous avons besoin d’avoir accès à la connaissance de l’entreprise, de travailler en confiance avec des interlocuteurs de terrain et du management, pour voir les choses de manière globale.

Nous pouvons travailler sur des serveurs dédiés mais nous n’avons pas vraiment besoin que nos clients aient mené une démarche data mature. Pas besoin de data lake par exemple, un fichier Excel peut être un point de départ. Il est en fait rare que les entreprises disposent des bonnes données collectées de la bonne façon. Oui il est important de disposer de bonnes données, mais pour nous les données sont secondaires, car nous n’en sommes finalement pas dépendant dans un premier temps. Les données, leur collecte, leur sécurité, leur analyse, font en fait partie de la problématique que nous étudions. C’est pourquoi je pense que l’adage « Garbage in, garbage out » n’est pas forcément une vérité sans appel (GIGO : le concept selon lequel des données d’entrée défectueuses ou absurdes produisent des sorties absurdes ou « déchets »). Nous avons déjà réussi un projet avec en input des photos vraiment floues. Cela faisait partie des contraintes du problème à étudier et nous avons réussi à en tirer des résultats utiles.

La première étape d’un projet d’IA hybride sera donc d’essayer de comprendre la vraie problématique de l’entreprise. Or il est rare qu’une entreprise ait déjà identifié exactement ce problème et elle aura même tendance à sursimplifier un problème. Car la vraie problématique lui semble trop complexe et qu’elle ne connaît pas le véritable potentiel de l’IA hybride. Notre mission sera alors d’identifier les bons modèles mathématiques et les mettre en œuvre. Or ces modèles sont très efficaces mais très complexes à implémenter. Ce qu’on gagne en efficacité on peut le perdre dans la complexité. C’est pourquoi les idées les plus simples sont souvent les meilleures !

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